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Jaurés

N. B. Ce texte est une transcription adaptée de l’entretien diffusé sur la cassette. Il y a donc quelques reformulations.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Jaurès, je viens de banlieue, j’ai grandi en banlieue parisienne dans le 9-3, dans le quatre-vingt-treize.

Quand et comment es-tu arrivé à la Goutte D’or ?

Je suis venu vivre dans le quartier de la Goutte d’Or... Je sais plus, ça remonte à plus de dix ans, douze ans à peu près. J’ai vécu là pendant huit ou neuf ans et j’ai ouvert un magasin de disques.

Maintenant je ne vis plus dans le quartier, mais j’y suis tous les jours. Ce qui m’a fait choisir ce quartier, c’est parce que, en banlieue parisienne, j’ai grandi dans des quartiers populaires avec une forte immigration, des gens qui venaient d’un peu partout. J’ai grandi dans un melting pot avec des personnes d’origines diverses et variées… Des Français dont les parents sont portugais, italiens, togolais, juifs, tunisiens, marocains... Et en arrivant dans ce quartier de la Goutte d’Or, j’ai retrouvé ça. Voilà ce qui m’a fait choisir ce quartier. J’aurais pu habiter dans d’autres arrondissements de Paris, mais celui-là, j’ai tout de suite craqué parce que ça m’a rappelé là où j’ai grandi en banlieue.

Là où j’ai grandi, ça a vachement évolué. Maintenant, il y a le Grand Paris. Il y a beaucoup de nouvelles constructions. On va dire que ça s’embourgeoise, aussi. On parle beaucoup de gentrification, parce que c’est une thématique qu’on a dans la Goutte d’Or. Mais en banlieue aussi, on pourrait dire qu’il y a une gentrification avec la construction de plus en plus de résidences où les gens peuvent accéder à la propriété.

C’est aussi un phénomène qu’on trouve en banlieue, de manière moindre. Mais moi, la grosse différence que je trouve entre la ville de banlieue où j’ai grandi et Paris – en tout cas Paris en dehors de la Goutte d’Or – c’est qu’il y a un peu plus de mélange et de rencontres en banlieue que sur Paris.

Beaucoup de gens disent que Paris, c’est une ville cosmopolite, avec des étrangers qui viennent de partout et c’est cool. Mais finalement, en y réfléchissant bien, je me dis c’est pas si cool que ça. Je trouvais qu’en banlieue, mine de rien, malgré tous les travers qu’il y avait, il y avait un truc un peu plus fluide en termes de relations.
Par exemple, c’est tout bête, c’est une petite parenthèse, les couples mixtes : c’est très intéressant, en banlieue, on a deux fois plus qu’à Paris.

Avec tout ce qui vient de se passer, j’entends par là des mouvements sociaux avec le covid et tout ce qui va avec… On va dire qu’on a vécu deux années très particulières, au niveau de l’ambiance, l’atmosphère. Pour mon activité, ça a été difficile pendant quelques mois, peut-être cinq-six mois mais c’est reparti. C’est pas extraordinaire, c’est pas non plus catastrophique. C’est pas comme si tu avais un restaurant et puis voilà, du jour au lendemain, tu te retrouves à ne plus pouvoir payer tes employés, et devoir fermer la porte.

J’ai pu tenir. Et ça commence à aller mieux depuis deux ou trois mois à peu près.

Il y a une demande, mais elle est vraiment minime. En tout cas, mon activité est vraiment minime par rapport à la vente de vinyles et de CD. Parmi les personnes qui viennent d’acheter des cassettes, il y a des jeunes. Alors ça, ça me surprend, c’est très intéressant. Des jeunes entre 15 et 25-30 ans qui achètent des cassettes. Et ça, c’est une chose qui m’a surprise. On dit qu’il y a un revival de la cassette, mais il faut déjà voir le nombre de personnes qui sont équipées en lecteur cassette. C’est plutôt comme ça qu’on arrive plus ou moins à jauger. Et j’ai pas l’impression que les gens soient si bien équipés que ça en termes de baladeurs walkman, de postes cassette. Il y a un petit revival effectivement, c’est une niche. C’est surtout dans le rap, dans le rap et les mixtapes.

Ça explose, mais j’en vois un peu, c’est vraiment minime. Cela représente entre cinq et dix pourcent de mon CA… et encore dix pourcent, je vais peut-être un peu loin. Quand on rentre dans une niche, c’est très recherché, des choses qui sont rares, pressées en cent, cinquante exemplaires, donc les gens courent après. J’ai un pote qui fait de la cassette, il s’est spécialisé là-dedans, il en vend sur internet et ça a l’air de très bien marcher. Je pense que quand on verra des baladeurs walkman ou des lecteurs cassette à la Fnac, on pourra dire vraiment qu’il y a un retour.

L’objet

Une boîte de crayons de couleurs chamarrées, le côté mélange, brassage… alors oui alors un objet ça va être un disque… Je suis pas matérialiste du tout. Je n’ai pas d’objet fétiche, vraiment. Mais même en étant disquaire, des fois je me dis que tout ça, ça va, ça vient. Les disques ça commence à repartir, puis finalement tu dis : « Ouais, quand je vais mourir, en fait, qu’est-ce qu’il va me rester ? » Bref, ça, c’est une petite question philosophique.

La musique

Je vais rester dans le quartier de la Goutte d’Or. J’avais le choix entre deux artistes, dont un chanteur que j’ai interviewé il n’y a pas longtemps, Hamou Cheheb, mais on va aller dans le côté urbain avec Hugo TSR. Ça va être Hugo TSR le rappeur. Je vais vous sortir son deuxième ou troisième album, je ne sais plus, parce que les premiers albums sont sortis en CD uniquement.

Après, j’en parle parce que, pour être honnête, j’ai arrêté d’écouter le rap français au début des années 2000. Comme beaucoup de ma génération, on a commencé à être un peu dépassés. On a lâché l’affaire. Je me suis remis à écouter du rap français ces trois dernières années, et ce rappeur, je trouve qu’il sort vraiment du lot.

Je le trouve bien meilleur que les Sofiane, Maître Gims, je trouve qu’il y a du niveau. Il est vraiment au-dessus parce qu’il est à l’ancienne, c’est-à-dire en style boom bap, c’est intéressant. Il a commencé à rapper en 2004-2005, pile au moment où j’ai arrêté, avec son groupe le TSR crew. Je suis fan de chanson française aussi, entre autres, j’aime la chanson à texte en tout cas. J’ai un côté assez engagé. J’adore Léo Ferré, je suis un fan absolu de Ferré. Pour moi, en termes de chanson française, il est sur une autre galaxie, ce mec-là, et Hugo TSR – la comparaison est un peu osée – il y a un petit côté comme ça. Je dirais plutôt un côté même à la Baudelaire, un gars qui a le spleen. Un gars désoeuvré de son époque, qui perd un peu foi d’une certaine façon et qui décrit assez bien son époque. Donc ça reste du boom bap en termes de texte et d’écriture, il a une plume pour moi qui est vraiment hors pair. Je le mets vraiment au-dessus de la plupart du rap qu’on entend aujourd’hui.
Et ce qui est intéressant, c’est qu’il rappe encore aujourd’hui avec la sortie de son album 2021. Pourquoi je vous parle du TSR ? C’est un gars qui a grandi à Marx Dormoy, donc juste à côté du quartier. Il faut être honnête, j’étais fan à l’époque de la Scred Connexion, même encore aujourd’hui, je trouve qu’il y a une ligne, un peu comme si c’était les petits frères de la Scred Connexion. Ils ont monté un groupe qui s’appelle TSR crew, son album s’appelle Flaque de samples, et dessus il y a un titre qui s’appelle Jeune du 18. Il parle de cette jeunesse du dix-huitième. Cet album doit dater de 2006 ou 2007, quelque chose comme ça.

Dans Jeune du 18, il parle des jeunes du quartier. Et quand je dis « jeunes du quartier », je parle de ces jeunes qui sont désœuvrés, qui ont arrêté l’école très tôt, qui se mettent à dealer du shit, des saloperies quoi. Il en parle et je trouve ça vraiment très bien. Il y a un morceau qui s’appelle Jamais au point mort ou Objectif Lune, c’est un de ses tubes. C’est un rappeur que j’ai découvert il y a pas longtemps et si quelqu’un aime le rap français, le rap à l’ancienne en boom bap, vous allez prendre une claque. Il a déjà sorti au moins cinq ou six albums. Et puis voilà un peu le personnage, Hugo TSR. Honnêtement, ce qui est bien avec cet artiste-là, c’est que ses albums, ils vont durer dans le temps. Dans dix ans, quinze ans, vingt ans, ceux qui se sont passés à côté vont se rendre compte que le bonhomme…

En termes de son, on va plutôt aller plutôt faire un gros clin d’œil au quartier Barbès.
Je vous parlais tout à l’heure du chanteur Hamou Cheheb. Le morceau qui me vient, c’est un titre qui s’appelle Samedi midi, Barbès. Ce chanteur raconte le Barbès des années 80, quand les gens allaient au marché. Il raconte plein d’anecdotes et c’est très intéressant parce que quand vous écoutez ce titre-là, vous avez quand même une vision du quartier, en tout cas d’une partie du quartier. J’en ai parlé à un ancien, un gars qui a grandi ici, qui est passé un jour chez moi. C’était il y a quelques années… Je fais écouter ce morceau au gars, il avait limite la larme à l’œil. Tu sais ce qu’il m’a dit ? « C’est exactement ce que nous, on vivait, quand on allait à Barbès. » Alors ce sera plutôt ce titre-là.

Il faut juste que je retrouve le vinyle parce que je l’ai sorti hier. Voilà… Hamou Cheheb, Samedi midi, Barbès.