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Cebos

N. B. Ce texte est une transcription adaptée de l’entretien diffusé sur la cassette. Il y a donc quelques reformulations.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Jibril. Mon blaze Cebos Nalcakan m’a été donné par ma mère à ma naissance.

Ce n’est pas un blaze que j’ai inventé parce que j’ai commencé l’image, c’est un diminutif de mon prénom et c’est resté. C’est comme Mamadou - Mams, c’est des p’tits surnoms qu’on donne à des bébés.

Quand et comment es-tu arrivé à la Goutte D’or ?

Je suis né à Lariboisière et j’ai vécu mes premières années rue Myrha et j’ai déménagé fin 1996, toujours dans le dix-huitième, côté Guy Moquet-porte de Saint-Ouen.

Mais quand on est enfant de la Goutte d’Or, on est enfant de la Goutte d’Or à vie. Vu que c’est le quartier voisin, on a toujours squatté ici parce qu’on avait encore nos amis. On n’a jamais vraiment quitté ce quartier. Et il n’y a pas un autre quartier du dix-huitième qui a la même histoire que la Goutte d’Or.

C’est un effet village qu’on peut retrouver dans certains autres quartiers comme Belleville, mais sinon nulle part ailleurs.

Mais c’est pas pareil, d’un point de vue historique… Pour nos parents qui ont immigré dans le quartier – même pour les Maghrébins, les Algériens, l’histoire entre France et Algérie, les premiers bidonvilles – la Goutte d’Or est particulière en termes d’Histoire, en termes d’image, en termes de grain, c’est un quartier très très riche. Le quartier de la Goutte d’Or – et aussi Courbevoie, si je dis pas de bêtises – c’était les premiers bidonvilles où il y a eu justement tous les Algériens, etc. Et c’est un quartier qui a accueilli de nombreuses personnes du Maghreb ou d’Afrique en général.

C’est ce qui fait qu’il y a toute cette population. Plein de gens, que ce soit du Mali, Sénégal, Algérie, Maroc, quittent leur pays pour venir en France, ou plutôt à Paris, et viennent directement à Barbès.

Avec son histoire entre la France et l’Algérie, la guerre et l’après-guerre, le quartier est un vivier. C’était là où on retrouvait cette population.

Alors moi, j’ai commencé mes premières images dans le quartier. Je parle pas des photos, vidéos de la famille et des amis, je parle vraiment du moment où j’ai eu mon premier réflex, mon premier appareil photo numérique. C’était dans le quartier et avec et grâce à la musique. Je pense que l’art permet à un être humain sensible de pouvoir réfléchir, penser et créer.

Quand on a un petit pied dans le monde de l’art, on a besoin d’autres choses pour s’inspirer, créer. La musique a été une de mes sources principales d’inspiration et de création.

Petit, je voulais être rappeur, mais j’étais pas fait pour ça. J’étais très, très, très, très, très, très, très timide. Me mettre en avant de la scène, c’était mort. Mais un de mes grands frères était rappeur et je voulais suivre ses pas. Donc j’ai traîné beaucoup dans ses pattes, dans le milieu du rap et j’ai appris à écouter, j’ai écouté ce qu’ils écoutaient. Des groupes comme NTM, IAM, la Scred, Fonky Family. J’ai appris à écouter tout ça comme comme un gamin de dix ans pouvait écouter et comprendre ces mots-là et plus je prenais de l’âge, plus je comprenais les mots, mais j’étais déjà dans le moule du rap texte. Dans le monde du rap, j’aime pas trop le terme conscient, mais le rap texte, si. J’ai grandi avec ça et je pense que c’est encore ma source d’inspiration.

J’aime plus le rap que la photo. Ça vient de la rue et quand on est dans la rue, quand on travaille dans la rue, quand on a fréquenté ce milieu, c’est toujours présent. Le rap, le hip hop sort de la rue, c’est la musique des égouts, le rap, ça vient de là.

Quand tu joues dedans, quand tu as grandi dedans, un peu dans l’urbain, c’est la musique des jeunes, c’est la musique de la rue, donc on grandit avec ça et c’est toujours ancré. Plus comme avant, mais il y a encore des vrais qui existent et qui persistent à exister, à mettre en avant les vraies valeurs du rap.

Pour moi, le rap, en tout cas, c’est de la poésie. Le rythme de la poésie. En photo, je fais en sorte de faire mes images comme si j’écrivais, comme si j’apportais de la musique, de la mélodie, dans le sens où il faut donner un sens à son image. Des lignes, une certaine lumière, une certaine sensibilité, comme dans la musique comme dans les mélodies, comme de la poésie. Et une photo, c’est de la lecture. Je m’inspire de la musique qui me met dans un mood de création. C’est sûrement le rap que j’ai connu, que j’ai écouté, que j’écoute encore, qui m’a donné cet univers que j’ai, très noir, brut, parfois brutal.

Il y a de l’émotion et de la poésie, c’est de la torture parfois. L’art, c’est la torture, la musique, le rap, c’est de la torture, il y a toujours quelque part une histoire ou une touche d’amour, de l’émotion, même dans le côté brutal, il y a de l’amour quoi parfois. Je travaille mes images, mes moods, par rapport à ce que j’écoute, et c’est ce qui m’inspire énormément.

Avec le temps. j’ai appris aussi à aimer la mélodie. La musique tout court, les instruments : piano, violon, tous types de musique, la musique africaine, les mélodies africaines ou même du monde. Je vis rap... Le t-shirt, j’ai pas fait exprès, ça fait longtemps que je n’étais pas en t-shirt, je suis passé en prendre deux-trois, je voulais le porter. Je voulais photographier la Scred depuis que je suis tout petit, c’était les amis de mes grands frères. J’ai écouté la Scred Connexion depuis que je suis petit, et c’est une de mes fiertés d’être du même quartier qu’eux. Mes premières images, je les ai faites dans le milieu de la musique, du rap. J’ai beaucoup photographié la scred connection. Après, j’ai photographié d’autres groupes, dans l’indé. Mais j’ai jamais voulu qu’on colle cette étiquette de photographe de rappeur ou photographe de concert.

J’ai un lien assez particulier avec le rap, je suis un acteur de ce rap indé plutôt qu’un mec qui vient photographier, donc je veux pas qu’on me colle cette étiquette. Je ne cours pas derrière les rappeurs, j’ai des potes, des frères qui font du rap, donc j’ai photographié beaucoup de rap jusqu’au jour où j’ai eu l’impression de tourner en rond et j’ai arrêté les concerts et les photos de rappeurs. Il faut vraiment qu’il se passe un truc pour que je puisse faire des photos. Je me considère comme un photographe.

Le Square Léon, parce que pour moi, c’est le centre de la Goutte d’Or. En fait, ça dépend – pour plein de raisons, je peux citer plein d’endroits. Je peux citer Tati, le métro aérien, le marché sous le métro. Le square, c’est parce qu’on y a joué quand on était petit. J’ai des souvenirs avec le mur d’escalade qu’il y avait à l’époque, c’était le seul square qui ne fermait pas. C’était en même temps magnifique et le bordel. J’aurais pu citer la rue Myrha pour ce côté qui vit de ouf, son côté super dangereux de l’époque. Ça a bien changé, mais c’est rempli de crackheads, tu rentrais chez toi et dans les cages d’escalier c’était que des toxicos qui se shootaient. La fête de la Goutte d’Or, le fait que ça réunisse tous les ans tous les anciens du quartier, les petits et plein d’artistes super connus qui viennent bénévolement parce que c’est une fête qui est très différente des autres.

Tu vois, je connais pas trop de quartiers qui ont réuni toute la mafia cainfri avec Rhoff, Kery James et plein d’autres gens. Pour son côté vivre ensemble. Enfin c’est chaud, c’est toujours chaud de citer une chose particulièrement, mais le Square Léon parce que je pense à mon enfance quand je jouais là-bas. Je peux dire aussi la rue Myrha, le fait d’être six dans une pièce. Plein, plein, plein de choses, plein de choses, je ne sais pas. Plein de choses, plein de choses. Je ne réponds pas à ta question, je suis désolé. Même l’épicier, Malik, est toujours resté là, le mec a toujours refusé de vendre de l’alcool, il s’est tenu à son truc. Tu vois plein de trucs, chacun fait ce qu’il veut tant que les gens vivent bien.

Et l’église Saint Bernard pour l’action qu’elle a faite pour les sans papiers en 96 ou 98, je me rappelle plus. 1998. Pour son action, tu vois plein de choses. La Goutte d’Or pour moi, elle n’a pas de couleur, n’a pas de religion, on vit ensemble et c’est ça qui fait sa force.

Te vois-tu vieillir à la Goutte d’Or ?

J’y habite plus, mais j’y vis toujours, je vis le quartier. Déjà, moi, je fais une série photo qui s’appelle Paris Bezbar et j’ai envie de la faire jusqu’à la fin de ma vie. Je pense que je suis là. Je suis cloué ici… Venir habiter à nouveau ici, je pense pas, mais y être… Un enfant de la Goutte d’Or reste un enfant de la Goutte d’Or. J’aime la Goutte d’Or comme je la déteste en fait. Je suis là pour montrer tout ce que j’aime, tout ce que j’aime pas. Et tant que la Goutte d’Or existe, j’existerai. Et tant que je suis là et que je suis photographe, je continuerai à shooter la Goutte d’or, quoi.

Alors on a rénové des choses, on a détruit, reconstruit d’autres choses. On nous a promis des choses qui n’ont jamais vu le jour. Je suis pour que tout se passe bien. Si jamais il y a quelque chose qui dérange, il faut faire en sorte que ça se passe bien.
Je me rappelle par exemple des prières de rue, rue Myrha, rue Rousseau. Je peux comprendre que ça puisse déranger. C’est pas normal de crier dans la rue, mais c’était pas un choix. Si les fidèles sont là dans la rue, c’est qu’il n’y a pas de place. On a enlevé une mosquée, c’est devenu une friche, mais depuis 7, 8, 9 ans, on aurait pu construire quelque chose.

D’un point de vue des restaurants. Moi je suis pour qu’il y ait d’autres restaurants, que ça apporte du nouveau, qu’on mange d’autres choses. Je suis pour. Le seul truc qui me chagrine un peu, c’est que quand tu viens dans le quartier et ton enseigne c’est Barbès, Goutte d’Or ou Château rouge, et qu’au final ça n’a rien de Barbès, Goutte d’Or ou Château rouge, ça me fait un peu mal.

Augmenter le prix de un à deux euros parce que c’est un nouveau lieu, je veux bien que le confort se paye, je suis d’accord avec ça. Mais quand ton café est à deux euros et quelques alors que juste en bas il est à cinquante centimes, je comprends pas trop. Si tu veux le faire à deux euros cinquante, paie-toi un loyer à Montmartre, sous le Sacré-Cœur. Tu viens payer un loyer à 1000 balles, tu montes les chiffres, c’est un peu ça qui peut me dégoûter de certaines boutiques, d’une certaine philosophie, de certaines personnes.
J’ai rencontré des personnes qui venaient d’habiter au quartier depuis à peu près un an, et qui me disaient comment la Goutte d’Or devait se comporter ou changer ou devait être. Mais toi t’es chouette, tu viens habiter ici, t’as acheté parce que c’est pas cher, mais tu veux pas son bruit, tu veux pas son odeur, tu veux pas ses voisins. Tu viens, t’apportes quelque chose de nouveau, avec des produits frais, faits maison, etc. Dans certains endroits, tu te dis qu’on est plus à Bezbar. Quand je monte au Sacré Cœur, je me dis qu’on est dans un lieu touristique, le jus à 5 euros se comprend. Mais quand tu as payé un truc toute ta vie à 1 euro et qu’il est à 2,5 euros…
Des immeubles ont été retapés, même en termes de sécurité, ils étaient obligés. Mais quand on dit aux gens : « eh toi qui habites ici depuis 50 piges, on a retapé ton immeuble, ton loyer passe de 10 balles à 50 balles, sinon tu peux payer 10 balles, mais dans le 77 », c’est la gentrification.
Le truc, c’est que même des familles qui ont déménagé reviennent tous les jours. Même si les gens ont déménagé comme moi, on est toujours là et on se revoit toujours, tu vois. Mais attention, je suis pas fermé aux autres habitants, c’est pas du tout mon propos. Surtout si ces gens qui viennent peuvent apporter quelque chose d’encore meilleur. Tant mieux si t’es nouveau et en plus tu kiffes le quartier et t’apporte d’autres valeurs. Mais si tu ne mélanges pas…

La musique

C’est le morceau de Koma Loin des rêves, pour son clip, pour ces images. Je suis un mec nostalgique, donc ça me rappelle une époque. Et pour son texte assez particulier, pour moi, c’est le meilleur morceau du pera. C’était avant les années 2000 et j’ai toujours les mêmes frissons à chaque fois que je l’écoute. Et j’ai un amour particulier pour ce morceau.

Il y a des mots qui ne peuvent pas décrire certaines émotions mais vraiment je suis torturé du pera et ce morceau, je l’aime trop.

L’objet : un CD de la Scred Connexion

C’est un CD de la Scred Connexion, j’ai hésité avec ​​Du mal à s’confier, aussi de la Scred. Pour moi, c’est là dans cet album qu’il y a le plus gros classique.

Pourquoi un album de rap et pourquoi celui-ci… Même si je suis du quartier, j’ai découvert le quartier dans leurs textes, j’ai appris les noms des décédés avec la Scred, j’ai appris les noms des rues du quartier avec la Scred, les problématiques avec la police avec la Scred, les prises de position politique ou même sur le monde en général avec la Scred. Et c’est la Scred qui m’a fait aimer le rap. C’est la Scred qui m’a fait découvrir le rap, la poésie et c’est la Scred qui m’a vraiment fait du quartier. Pour moi, c’est une identité. En fait, la Scred, tu vois, c’est un truc important.

Mon frère ne fait plus de rap. Il avait un groupe, mais c’était plus un groupe entre potos, c’était un rêve mais c’était pas dédié à en faire de grandes stars, c’était un groupe de quartier, de passion. Aujourd’hui, c’est loin derrière mon frère… Vie de famille, daron. C’est une entité, la Scred.

C’est un nom de famille pour moi.