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Frederic

N. B. Ce texte est une transcription adaptée de l’entretien diffusé sur la cassette. Il y a donc quelques reformulations

Je m’appelle Fred Bourgeois, je suis belge, migrant belge à Paris, migrant exprès parce que la Goutte d’or avec un quartier de migration. Je suis arrivé à Paris en 2012, j’ai toujours travaillé dans le milieu de la culture. Et puis, en 2018, j’ai quitté ce milieu-là et fait une agence de voyages culturels pour mettre en avant le patrimoine de Paris et…

Je voulais aborder ma relation au quartier puisque, à travers ma société, mon agence de voyages, je propose des découvertes de la Goutte d’Or, où j’essaie de montrer un peu l’évolution historique du quartier, d’où il vient, comment il a été construit. Surtout toutes les questions de multiculturalité dans le quartier, toutes les initiatives de solidarité qui existent ici et que je trouve fascinantes, super-belles, aussi.

Et puis toutes les couleurs du quartier qui font que le quartier pâtit d’une image pas top, mais qui rendent le quartier vraiment super vivant. J’habitais ici presque deux ans dans une rue assez animée, rue Doudeauville, avec notamment pas mal de prostitution le soir, donc des réalités sociologiques pas toujours faciles. Mais toute la vie qui est ici fait que ça a été un moment de vie que j’ai beaucoup apprécié aussi, pour ces raisons-là et pour d’autres. C’était aussi mon arrivée à Paris et je devais me recréer une vie en dehors de mon pays, en dehors du cercle de mes amis et je pouvais être, entre guillemets, totalement moi-même et m’inventer… Je ne vais pas dire m’inventer une nouvelle vie, du tout, mais me présenter comme je souhaitais le faire et pas à travers mes amis qui disaient : « Tiens, regarde, c’est Frédéric, il fait ceci fait cela. » Non, là, c’était moi qui à chaque fois pouvais me présenter.

C’est bête, mais en fait, ça change beaucoup. J’avais entendu une fois ce parallèle avec le bol de salade ou t’as beau tout mélanger, les bouts de légumes restent quasiment intacts, mais ça va être la vinaigrette que tu vas mettre qui va les teinter de l’esprit du quartier.

J’ai habité ici presque deux ans. Mais avant, à Bruxelles, j’ai habité cinq ans le quartier africain. Je n’ai jamais ressenti là-bas ce que j’ai retrouvé ici. Maintenant, je me rappelle que j’ai fait des parallèles avec Bruxelles à cette époque-là, mais pour justement les différencier parce que j’ai connu ici ce que j’ai pas connu à Bruxelles, c’est-à-dire une vie de quartier. Où les gens me reconnaissaient et je les reconnaissais et on se disait bonjour, on se saluait, où aussi les gens au sein même de l’immeuble s’entraidaient, ce que j’ai jamais eu à Bruxelles, que ce soit dans le quartier africain de Bruxelles ou dans d’autres.

Revenir habiter ici, non. Ou en tout cas pas aujourd’hui parce que j’ai bien aimé ici, mais c’est simple, je vais faire un autre parallèle... Quand j’ai commencé à vivre tout seul, j’étais étudiant et j’ai vécu pendant quatre ans dans ce qu’on appelle en Belgique un kot, c’est-à-dire une chambre de bonne, sauf que cette chambre de bonne est à la cave. J’avais pas vraiment la lumière du jour, sauf à travers des fenêtres qui étaient au niveau des pieds. J’étais OK pour vivre là pendant quatre ans, j’ai pas eu de problème. Mais après la cinquième année, j’ai vécu dans un appartement au deuxième étage où j’avais de la lumière.

Et autant je ne regrette pas d’avoir vécu dans la cave, autant je ne retournerai pas vivre dans une cave parce que maintenant je connais la lumière. Autant j’ai adoré vivre ici, autant maintenant j’habite dans une ville à l’extérieur de Paris, avec énormément de verdure autour de moi, beaucoup plus calme et sans les problèmes qu’on a en vivant en ville, sur Paris ou ailleurs. Pour l’instant je ne vois pas revenir, pas seulement à la Goutte d’Or mais à Paris tout court ou même à Bruxelles. Par contre ouais, là ça fait dix ans que je connais ce quartier, il a évolué mais plutôt lentement et il y a plus de bobos, clairement. Mais j’ai pas l’impression que c’est le raz-de-marée non plus et je trouve ça plutôt cool que le quartier continue à garder une couleur assez forte qui est la sienne. Mais bon, il y en a d’autres qui vont donner un coup de cloche, qui vont dire que j’ai totalement tort parce qu’ils ont une autre réalité du quartier. Moi, je viens de temps en temps. Aujourd’hui, j’adore revenir. Je ne suis hyper content de revenir.

Je suis content de retourner à l’Institut des cultures d’Islam pour boire un bissap, pour des trucs comme ça, pour déjeuner. Mais c’est une expérience du mec qui vient de passer la journée ou deux heures et puis s’en va. Donc je viens plus passer les soirées ici, non plus, ce qui n’est pas totalement étonnant.

Moi j’habitais rue Doudeauville, un deuxième étage sur rue. Doudeauville, c’est juste une bande de circulation. Comme dans un village, les gens s’arrêtent n’importe où, n’importe quand, au milieu de la rue pour laisser descendre un occupant de la voiture, pour causer à quelqu’un qui est au café à côté.

Bref, c’est des bouchons tout le temps, ça klaxonne, c’est le bordel tout le temps. Donc ouais, passer la nuit ici… enfin, je crois que ça dépend où on la passe, aussi. Parce que si on passe la nuit et qu’on est dans un appart’ troisième, quatrième étage, sur cour, sans le bruit de la rue, c’est plus tranquille.

L’objet, je vais le sortir de mon sac, C’est un paquet de chips à la banane salée, parce que c’est ce que j’ai découvert ici, en rentrant dans une épicerie africaine, un peu en hésitant comme un con parce que je ne savais pas si j’allais bien accueilli. Et je me suis dit : « Tiens, j’adore la banane, j’adore les chips, alors les chips à la banane, ça me parle. » et j’ai acheté ça. Et depuis, j’adore bouffer ça et souvent quand je suis chez moi, je rajoute même un peu de paprika et du sel. Ouais, c’est top quoi.

Alors ce n’est pas un morceau, mais c’est un artiste, c’est le Ton Mité. tout simplement parce que quand je suis arrivé dans le quartier, j’avais une amie donc je savais qu’elle habitait aussi dans le quartier. Donc quand je suis arrivé, j’ai su que j’allais avoir l’appart’. Je l’ai contactée et j’ai dit : « Charlotte. J’arrive dans ton quartier, je serai… je sais même plus quel numéro de Deauville. » Elle me dit : « Non ? Mais je suis à trente mètres de là, il faut qu’on se voie. » Et donc on s’est vus beaucoup avec Charlotte. Charlotte est française mais avait vécu en Belgique et ensemble, on est parti d’un délire et on a décidé de créer l’Institut des œuvres belges, qui était un institut éphémère.

C’était dans mon appartement et on n’avait l’idée de créer des petits événements autour de notre réseau d’artistes en Belgique. On a fait notamment une exposition qui s’appelait « un petit peu », je crois, qui était sur base d’un concept de Jérôme Poloczek, un ami à moi. Pour le vernissage de l’exposition – non, c’était pas pour le vernissage, mais à un autre moment – on a fait une soirée avec un concert du Ton Mité. Dans mon appartement, dans les trente mètres carrés, le Ton Mité était là et quinze, vingt personnes sont venues et c’était très chouette. Il faudrait que je retrouve. Donc on a eu avec le Ton Mité, c’était très cool. Donc ça c’est la musique du Ton Mité.

Dans l’Institut des œuvres belges, on avait aussi fait une soirée de projection d’un film qui s’appelle Cinéma, qui était coréalisé par Jérôme et par Benoît Grimalt et à la suite de la projection, on est allés manger chez Didier, Aux Gamins de Paris. Didier avait ouvert son café tôt le matin et sa femme Paloma étaient censée prendre la relève au milieu d’après midi, ce qu’elle a fait.

Mais Didier, au moment de prendre sa pause, d’arrêter de bosser... Est-ce qu’il y a eu des clients, des potes et il a bu des ptits rouges ? Il était un peu éméché. Didier, c’est un peu un mec adorable, ultra généreux, mais à mon avis un peu sanguin aussi, il n’a pas besoin de beaucoup pour qu’on le chauffe.

Et ce soir-là, il y avait un mec bourré, un peu chaud et un peu lourd, qui n’a pas voulu lui payer ses deux cafés. Nous, on était là, on s’était assis, on avait commandé et on sent que ça commence à chauffer sur la terrasse. Entre Didier, le mec, on voit Didier qui s’énerve, qui rentre, il habitait à l’époque à l’étage au-dessus du café – je crois que c’est toujours le cas.

Et puis on voit qu’il redescend avec un fusil, le fusil ouvert, il était ouvert sur le bras mais je crois qu’il n’était pas chargé, j’ai pas vu. Il sort comme ça avec son flingue Avant de faire ça, Didier avait appelé les flics, ou Paloma, je sais plus. Le temps que Didier ressorte avec son flingue, le mec avait disparu mais les flics sont arrivés et ils ont chopé Didier qui a eu une fermeture administrative d’un bon mois. C’était un peu l’histoire du pauvre Didier qui s’est fait avoir à son propre jeu et par son tempérament un peu chaud.

Mais le Ton Mité... On est toujours dans l’immigration. D’ailleurs, c’est un Américain qui un jour a décidé de s’installer en Europe, plus particulièrement en Belgique, et qui est tombé amoureux du folklore belge. C’est le mec qui, à ma connaissance, connaît mieux le folklore en Belgique. Aujourd’hui il se fait appeler le prince de Schaerbeek, je crois, et il s’habille beaucoup en vert ou orange.

Il est à fond dans toutes les petites festivités locales. et il est ultra actif, notamment pour que les traditions locales soient perpétuées. Donc c’est une belle initiative, c’est un mec que j’aime beaucoup et qui est assez investi est dédié à tout ça.