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Pascal

N. B. Ce texte est une transcription adaptée de l’entretien diffusé sur la cassette. Il y a donc quelques reformulations

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Pascal et j’habite depuis plus de dix ans dans le dix-huitième.
Je fais des photos parce que je kiffe…

Quand et comment es-tu arrivé à la Goutte D’or ?

Je me sens Parisien, je suis né à Paris. Mais est-ce que je corresponds au quartier ? Oui, à ces nuisances, c’est surtout bien ici parce que c’est un peu le bordel. Soit on est pour l’ordre, soit on est un peu laxiste, les deux ont leurs avantages. Ici c’est laxiste. Quand il y a des questions de confinement et compagnie, c’est vachement pratique. Au début, on était obligés de suivre, mais je suis à Château Rouge, c’était le bordel, ça craquait partout en bas. Je prenais mon vélo et je partais, même si c’était interdit de faire du vélo. Ils avaient même interdit de faire du jogging. Ouais, je suis ici, depuis plus de vingt ans dans ce local, mais dans le quartier, ça fait dix ans.

Pour l’instant, c’est le seul quartier qui est encore abordable pour des locations. Enfin, moi j’ai un plan, c’est assez abordable. Enfin, c’est cher, mais on ne me casse pas les couilles parce que c’est déglingué. Je ne suis pas très sociable. J’ai pas de problème avec les gens en particulier, je fais de la musique, j’en ai eu des amis. Et puis j’ai grandi en cité, donc je connais tout ça quoi, c’est mortel. Mais maintenant, c’est à l’américaine, c’est communautaire, ça ne s’intéresse pas.

Je fais toujours de la musique en groupe, mais je fais aussi de la musique tout seul. C’est accessible, ça s’est démocratisé, tu peux faire de la musique de tout, il n’y a pas de problème, c’est même un peu le but d’ailleurs. Je n’ai pas envie d’en faire un business, c’est pas qu’on n’est pas demandés, mais je n’aime pas les groupes qui arrêtent et reprennent et n’ont pas grand chose à dire, à part toucher une rente qui ferait plaisir aux auditeurs. Mon binôme est parti à Nice et donc c’est compliqué de continuer. En même temps, je faisais des photos, et là ça m’intéresse, je fais ça, je suis plus vieux, je suis âgé de 51 ans.

Paris pour moi, c’est facile, je connais bien, mais je pourrais être partout et j’aime bien Bangkok. J’aime bien et si j’avais de l’argent, je serais partout quoi. C’est plus du tout mon axe, je sais pas, c’est trop gentrifié, trop bobo, trop politiquement correct pour moi, ça me dégoûte.

Je ne suis pas retourné aux États-Unis depuis 2014. Mais bon, les religions aux États-Unis, évidemment, c’est très business, mais pas trop l’axe qui m’intéresserait. J’ai été en Californie, à Auckland, j’ai fait des photos avec l’appareil de ma meuf de l’époque…

Alors c’était bien perdu dans Auckland, c’était pas mal. Oui, c’est ghetto, il y a certaines villes dont le centre-ville, c’est zombieland. Pfizer ils ont bien commencé avec leurs opioïdes en vente légale aux États-Unis.

J’avais une photo que j’avais découpée dans un magazine, je me disais : « Ça, tu vois ça ? Ça, c’est le hardcore. » Je voyais des mecs avec des capuches, je ne savais pas ce que c’était. Après, j’ai eu les livres de photos, de photographies. C’est pas du hardcore, c’est juste des enfants des rues. Le groupe de New York étaient des mecs à la rue, comme quoi le lien n’était pas loin. Et je fais tout à la punk. T-shirt à la punk, photos à la punk… Maintenant, il y a du business partout.

Avant, la rue Myrha, c’était légendaire, même avant que j’y habite. Il y a eu plusieurs plusieurs phases de la rue Myrha quand j’étais plus jeune. Il y a eu l’héroïne. Mais il était une fois un groupe pourri comme ça qui est mort dans le quartier. Je crois qu’il y avait aussi le chanteur de Ma petite entreprise… Bashung. Il prenait de l’héro et il habitait dans le quartier aussi. La rue Myrha, ça a toujours été le coin de l’héroïne. Et après, c’est devenu le crack à Château Rouge. Le crack sur les quais. Je venais déjà ici parce que j’ai des potes qui habitaient là. Donc je passais sur la ligne 2, là où il y avait le crack, entre Simplon, Marcadet et Château rouge, surtout. C’est la folie, avant même la colline du crack et ça m’a toujours fasciné. La crasse fascine.
Le graffiti. J’aime bien la crasse, je préfère le graffiti vandale, alors que les beaux graffs, je m’en bats les couilles. C’est toujours lié. J’ai fait un peu de tag, j’étais pas bon, mais c’est pas grave, en photo non plus. Mais c’est le même concept, c’est pas des photos volées, mais il faut avoir un peu de courage pour aller prendre le truc. C’est comme quand tu fais des tags devant les gens.

J’ai parlé de ça avec mes potes tagueurs. J’ai un peu ce lien avec la photo et le tag. C’est lié au bizarre, c’est pour ça que je prends des photos de gens bizarres, de trucs bizarres. Parce que c’est aussi ce qui me fascine. J’ai toujours dit, le nord de Paris, c’est un peu comme le New York que j’ai rêvé. Moi, je fantasmais, j’étais enfant acculturé et j’étais allé aux Etats-Unis, le Bronx, tout ça. Ici, mais d’une autre façon, c’est une sorte de Harlem, mais on pourrait dire que le Bronx serait 93. C’est un peu communautaire, mais en même temps, il y a une culture, mais il y a une vraie culture africaine, mais c’est pas celle qu’on met en avant. Mais en plus elle est tellement diverse parce que les noirs, c’était une minorité avant en France. Elle existe, mais elle est partitionnée en plein de communautés. Moi, je ne fais aucun effort. Je ne veux pas tricher, ni payer, ni arranger l’histoire. Moi, je fais du vélo, je vais acheter des livres, j’aime la culture.

Je prends ce qu’il y a de bien à Paris, sinon je ne serais pas à Paris. Oui, c’est la culture, sinon se fait chier, je m’en fous d’aller voir les étoiles ici. Et la culture française et, même étrangère, ça m’intéresse, même en littérature. Moi, je suis casanier, asocial, mais je suis dehors quand même, je kiffe.

Je suis fasciné par Paris. C’est une ville qui me fascine, même si je suis fasciné par d’autres villes. Quand je suis à Bangkok, à New York, je suis fasciné. Je suis journaliste en même temps… Il faut pas que je prenne le truc calculé, sinon c’est de l’arrangement, c’est les photos qu’on voit autour des parcs avec des gens qui sourient et ce n’est pas la réalité. Moi c’est pas ce que je veux montrer. Pour l’instant je montre à personne à part Instagram, que je vais fermer, comme ça que ceux qui veulent me voir iront me voir. J’ai eu plusieurs comptes, mais ils me les ont téj. L’un a été hacké, et un a été fermé parce que je suis un peu anarchiste, mais je n’aime pas ce mot-là. C’est trop gauchiste comme terme. J’aime pas le côté gauchiste-anarchiste. Ils mettent des masques, ils font ce qu’on leur dit de faire.

Mais bon, moi quand je parle avec les gens… Il y a deux jours, je vois une voiture toute pétée à l’arrière, toute crade, toute déglinguée, dessus il y avait de la merde. Je me dis qu’ils ont dû enlever des voitures volées depuis le covid… Un mec me demande pourquoi je prends la photo, j’aime bien les trucs déglingués, comme ça. Et il me dit : « c’est ma bagnole. » Et il fait : « putain, j’en ai marre, après les mecs, ils me disent que je suis raciste. » Il y a même plus cette limite, il enchaîne là dessus. On est tous racistes, ça veut rien dire comme mot, c’est un pipeau. Je philosophe avec lui de nos problèmes.

Si tu sors, il va y avoir douze mecs foncedés… Mais on s’en fout. C’est pour ça que moi, je ne pense pas que je ferai des expos. Ça ne va pas être possible. J’ai commencé, je faisais des photos, j’aime tout, alors je peux aimer un graffiti, un mur, un grillage. Chacun a un œil. Je m’en bats les couilles. Je ne suis pas un peu asocial, la norme, c’est pas trop mon truc, quelle qu’elle soit. Mais j’aime ce qui est un peu dingue et qui tape un peu à l’œil. C’était marqué ‘star’ et les agités, c’est eux les stars de la ville. Les autres, ils passent, ils sont en Lacoste ou riches ou pauvres, ils ne font rien, alors que les agités sont intéressants.

Je vais pas les prendre en photo à trente mètres avec un téléobjectif. Je pourrais me poster, faire ça, avoir des milliers de pures photos. Je fais des photos, mais je n’ai aucune technique. J’ai enlevé des photos d’Instagram, une femme m’a dit qu’elle y avait vu sa sœur tombée dans le crack. Je peux enlever, je comprends. Mais le reste, oui, non, le bien, le mal est fait. J’ai pas le meilleur appareil du monde, j’ai des potes qui travaillent dans la photo et c’est une plaisanterie pour eux. Mais je ne fais pas de flou, pas de faux trucs artistico-tout ça. Le cadre, j’y connais rien, mais on commence à comprendre des trucs, mais si Instagram coupe tout le temps les photos. On me demande pourquoi je n’ai pas de photos sur Internet, mais il y a 10 ans, MySpace m’avait viré 3 comptes en une semaine. Je suis comme un petit con, un peu hardcore, punk, il faut pas me faire chier. Bon bref à un moment j’ai fait un compte instagram et là, ça m’a poussé un peu. C’est con, mais ça pousse au cul. Et puis je suis passé à un meilleur appareil. C’est de plus en plus dingue ici, donc j’ai de plus en plus d’endroits où prendre des photos. Si je veux, c’est chaud aussi de prendre des photos parce que c’est toujours pareil.

C’est si tu veux bien placer tes tag, c’est chaud à des endroits, c’est normal. C’est simple. Ici, c’est la France. Ils ne veulent pas. Ils veulent comme moi bêtement avant, quand j’étais déculturé, les États-Unis. mais ils n’auront pas ça.
En plus, quand les Etats Unis, quand tu y as été, tu sais que c’est pas ça. C’est un super système si t’es très bon et t’as de la thune. Après les oubliés… les vieilles valeurs de ce pays, ça vient du catholicisme, ne leur en déplaise – c’est complexe à expliquer en deux secondes.

Mais bon, c’est ça qui fait qu’ici on partage. C’est pour ça qu’ils utilisent des idées communisantes. Elles marchent, elles marchaient. Maintenant t’enlèves tout ça. Ils ne veulent pas revenir à ça, donc ils ont signé pour cinq ans de plus de Macron. Quand on leur dit : « Mais vous allez signer pour des fils de pute à chaque fois »… Même s’ils ne le disent pas, ils ne sont pas pour l’inverse, on a compris. Maintenant ils pleurent parce qu’en plus,... on ne va pas parler de géopolitique.

Moi, je vois bien la littérature, mais je pourrais même là par contre dévier plus vers sa littérature science fiction, mais là c’est le Meilleur des Mondes, mélangé à 1984. Ils ont voulu jouer l’ordre mondial pendant quelques années avec le dollar, mais là, avec ce qui s’est passé là petit à petit, c’est ça qui commence à faire flipper les petits Parisiens.

Alors un objet, non mais il faudrait un truc intéressant, je ne sais pas… Mon vélo, non ? Vu qu’en général je prends mon vélo à Paris… Ou alors je marche… et puis les photos dans le métro. Le métro, s’il faut, après vingt-deux heures, mais là tu vas rentrer dans autre délire et j’ai plus l’âge pour aller me battre tous les soirs, j’ai eu des sursis, des bagarres, des balafres. Ça suffit.

Si tu veux voir des trucs un peu ouf, des fois, il faut aller sur la colline du crack. Quand je me faisais arrêter par les dealers, tu prends des photos, il y a des mecs qui travaillent. Moi, j’aime bien tout le truc. C’est complètement dingue, ça s’est créé, comme le hip hop, ça n’existait pas avant. J’ai vu la colline du crack se créer. La première fois que j’arrive, ça fait tout bizarre, je prends une photo de deux mecs, personne squattait, ils me montraient du doigt.

J’ai tout de suite compris que c’était que je n’allais pas prendre des photos des gars. « Eh, c’est sympa votre dispositif », truc faux-cul. En plus, ce qui m’arrange, moi je suis pauvre donc même si je me démerde dans ma consommation de crack, tu te démerdes, tu consomme plus que moi.

C’est pour ça que je peux la regarder, j’ai pris la foncedé, je sais que c’est débile, je ne sais pas comment expliquer, c’est quand même ouf. Et tout ça, ça montre le bordel ambiant. Moi j’aime bien critiquer tout ça, c’est aussi une critique, si vous voulez, mais maintenant ça devient cliché. Au début, personne faisait ça, je postais pas, mais des mecs ont fait ça. C’est pas Bruce Davidson le photographe du subway à New York.

La musique

Moi, le rap, c’est une musique qui s’écoute frais, c’est très peu de choses qui vieillissent bien. Il y a des classiques, évidemment. J’écoute du pera, mais je préfère écouter ça. Si j’écoute du rap français, ça doit être bien écrit. C’est un peu golmon mais en même temps, il y a des trucs marrants, c’est un peu Homer Simpson. C’est un peu scratchy, mais ils font quand même des conneries, font plus de conneries qu’ Akhenaton, c’est pas très intelligent. Je ne suis pas là, je ne juge pas, c’est comme les photos, c’est une réalité. Alors c’est un axe vers l’extérieur. Là, il faut traverser le boulevard qui est à Marx Dormoy..

Ils sont là-bas et là, ils sont Porte de la Chapelle, certains font du business, du business de came, même s’il est déplacé un peu plus loin. Mais quand même, il y a encore des embrouilles avec les mecs du 19e. C’est à l’américaine, on fait des communautés, on fait des trucs, on fait des logements sociaux, c’est cool, il va y en avoir. Il y avait le parc au crack, tout ça c’est le même truc, si on réfléchit bien. Moi je suis un mec du pera, underground, même si c’est débile… J’aime bien Alkpote, j’aime bien les freaks.