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Yann

N. B. Ce texte est une transcription adaptée de l’entretien diffusé sur la cassette. Il y a donc quelques reformulations.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Yann. Je vis dans le quartier de la Goutte d’Or, dans cet appartement, depuis presque dix-neuf ans. Je suis arrivé ici pour le travail, je travaille dans l’industrie automobile et je suis marié depuis trois ans, mon épouse est croate. Ma plus grande passion dans la vie, c’est la musique.

J’aime à peu près toutes les musiques de 1905 jusqu’à aujourd’hui, avec une petite préférence ces dernières années pour différentes formes de rock : noise, rock expérimental des années 70, et pour l’histoire de la musique électronique.

Quand et comment es-tu arrivé à la Goutte D’or ?

À l’époque, je travaillais à Aulnay-sous-Bois dans le 93, dans une usine de voitures. Par ce biais, j’ai trouvé un logement pas trop cher dans ce quartier.

Le quartier a connu deux ou trois petites évolutions. Les communautés asiatiques – je ne saurais pas dire si elles sont chinoises ou pas – ont commencé à récupérer pas mal de commerces. Ils ont commencé par les bureaux de tabac et ils ont même repris quelques commerces de fruits et légumes africains, ils vendent des fruits et légumes africains aux Africains.

Quand je suis arrivé il y a 19 ans, il y avait énormément de crackheads dans le quartier. Il y avait un gros deal de crack qui avait un peu disparu pendant 6-7 ans, je dirais, qui s’était décalé vers Saint-Denis et s’est réinstallé dans le quartier depuis le Covid.

Les immeubles et façades ont pas mal été ravalés, pas mal de ruelles ont été repavées. Ce serait difficile de donner une évolution démographique du quartier, parce que c’est un quartier où il y a essentiellement des noirs dans la rue, en tout cas la partie nord de la Goutte d’Or. Ils font principalement juste commerce ici, c’est-à-dire qu’ils ne vivent pas ici, pour la majorité. C’est principalement des blancs qui vivent dans le quartier.

Te vois-tu vieillir à la Goutte D’or ?

Vieillir ici ? Non. Et je ne pense pas y vivre encore longtemps, parce que ça pèse un peu à mon épouse.
On peut considérer que c’est vrai, dans le sens où une bonne partie du deal de crack se déroule en face du numéro 8 et du numéro 6. Et les mecs pissent partout alors que des toilettes ont été installées, mais elles sont la moitié du temps en panne donc il y a des traces d’urine partout.

L’objet : les chaussures méduse

C’est un objet qui est né juste après la deuxième guerre mondiale dans le milieu de la France, où ils avaient commencé à développer les techniques de plasturgie. À l’époque elles étaient rivetées en deux parties, ça a eu un gros succès avec l’avènement des congés payés en France. Et puis ça s’est énormément exporté en Afrique.

La licence avait été rachetée par Bata, qui les a exportées un peu partout. En Afrique, grâce à des mini-presses faciles à reproduire, ça fait un carton comme chaussures de travail, parce que ça permet de travailler dans la boue en ayant des appuis et en se protégeant les pieds. C’est aussi utilisé beaucoup dans les guerres africaines parce que c’est un bon moyen d’avancer..

La musique

J’hésite entre deux choses. Je vais commencer par celui que j’ai connu en premier. C’est un morceau de Guillaume Tessier, un artiste parisien qui se produisait sous le nom de My Sister Klaus à la fin des années 2000. C’est un album de 2007 qui est pour moi un des deux meilleurs albums de rock français des années 2000, avec un disque de Bertrand Burgalat.

Sur cet album, il y a Château-Rouge, un mini hit qui a eu un tout petit peu de succès à Paris et qui est un excellent titre, rock pop, un peu électro, très très efficace.

Et le deuxième morceau auquel je pensais, c’est un maxi de Papa Wemba & Hector Zazou.

Je me suis pris de passion pour Hector Zazou, c’est un artiste français, compositeur, producteur très très méconnu en France, mais très réputé partout dans le monde. Papa Wemba, c’est un artiste congolais qui a eu beaucoup de succès principalement en Afrique, mais aussi en France et Belgique dans les années 80-90. Ce maxi de 1983 est génial, à la fois très européen, presque un peu no wave, et très africain.

Papa Wemba est mort il y a six ans, en 2017, je crois, et dans le quartier c’était une véritable star.